Le livre, ce nouveau consultant mode !
- Sandie ORNAT
- 22 juil. 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 6 mai

Si la mode influence la littérature depuis la Renaissance, l’inverse est tout aussi vrai. La littérature inspire la mode depuis longtemps.
Preuve en est : certains événements à haut coefficient glamour, restés dans l’histoire, comme le Bal Proust des années 1970 ou encore le Bal Noir et Blanc de Truman Capote à New York – récemment remis en lumière par la série Feud: Truman Capote vs. The Swans. De véritables Met Gala avant l’heure…
La culture littéraire du créateur
Première explication : le créateur, comme tout artiste, est cultivé, parfois même érudit. Il pourrait aisément animer le plus pointu des book clubs.
Il étudie, réfléchit et se confronte. A sa propre vie, à son époque…parce qu’il se donne pour mission de comprendre et de donner à voir sa génération qu’il relie aux destins romanesques les plus illustres. La mode devient alors une passerelle entre esthétique et sens, nourrie par une culture (classique, populaire, underground) qui aide à mieux saisir le présent.
Certain.e.s auteur.e.s sont particulièrement prisé.e.s des maisons de couture. Virginia Woolf, par exemple, a inspiré Burberry et Fendi. En 2022, Kim Jones – alors Directeur Artistique des collections femmes, et bibliophile averti – s’était emparé de la figure androgyne d’Orlando. Déjà en décembre 2021, il avait présenté chez Dior Homme une collection automne 2022 inspirée du thème du voyage, en rendant hommage à Sur la route de Jack Kerouac.
L’ombre de Virginia Woolf plane aussi sur Givenchy, tout comme Truman Capote, indissociable de Breakfast at Tiffany’s, sublimé à l’écran par Audrey Hepburn.

La culture de celui ou celle qui dirige la création insuffle l’esprit d’une maison, et témoigne souvent de son excellence. La littérature agit ici à la fois comme muse et comme caution intellectuelle. Elle permet au créateur de traduire, en couture, sa propre idée du beau.
Karl Lagerfeld, pour ne citer que lui, ne cachait pas son amour des livres.
Sans addiction, disait-il, si ce n’est celle d’acheter des livres : « Je ne peux pas vivre sans livre. » En 2019, Virginie Viard lui rendait hommage lors d’un défilé Chanel Haute Couture, en recréant, sous la verrière du Grand Palais, la bibliothèque de son prédécesseur légendaire.
Les défilés entre les livres
Car c’est tout l’univers livresque – et pas seulement les récits – qui inspire. L’objet livre, son lieu : la bibliothèque.
En 2017, à la Fashion Week Prêt-à-Porter automne-hiver, Rihanna organisait son défilé FENTY x PUMA à la Bibliothèque Nationale de France, dans la grande salle ovale. Surnommée le “Paradis ovale”, cette salle, alors vidée pour cause de travaux, avait été entièrement re-remplie de livres externalisés, le temps d’un défilé baptisé Fenty University.

En 2024, avec La Collection De La Bibliothèque Nationale, Hedi Slimane, le directeur artistique de Celine a offert une incursion entre les livres de la rue Richelieu, ancien palais du cardinal Mazarin pour un défilé intitulé Tomboy, garçon manqué qui mettait en avant des silhouettes faisant écho au cadre studieux des allées de la bibliothèque.
La tendance librarian core
Si la bibliothèque crée une atmosphère singulière – très exploitée dans les séries de campus ou en version plus gothique chez Harry Potter –, il y a aussi la silhouette qui va avec. Celle que l’on associe aux bibliothécaires et libraires, fantasmée, mais stylée. En 2024, elle est devenue tendance : lunettes rétro, jupe plissée, pulls en maille, mocassins… bienvenue dans l’ère du librarian core.
Ses ambassadrices ? Bella Hadid, Emma Chamberlain et d'autres modeuses qui réinventent le style Ivy League : un look inspiré des campus prestigieux américains (Brown, Columbia, Yale...), où le livre devient accessoire de coolitude.

Le livre, cet accessoire !
Ce n’est plus seulement le contenu qui inspire, mais l’objet livre lui-même. Éternelle icône, il se porte, s’exhibe, s’arbore. Olympia Le-Tan en a fait sa signature avec ses minaudières brodées, inspirées de classiques littéraires ou de jaquettes de films cultes. À Paris, Liya Kebede a lancé Liyabrairie, une ligne de “book bags” conçus pour transporter fièrement ses bouquins à l’épaule. De quoi faire passer le message : « dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. »
Ainsi, Liya Kebede, mannequin international à la carrière et à l’image impeccables, a, quant à elle, lancé Liyabrairie à la fashion week de Paris : un label de « book bags ».
Fabriqués en cuir italien, déclinés dans des tons nude, sur Internet et au Bon Marché, ils ne se contentent plus de propulser les livres comme contenants mais de les exhiber. Ces “books bags” se portent à l’épaule comme des sacs à mains et permettent d’arpenter la ville.. avec ses bouquins en attache et bien en vue. Dans un esprit un peu ostentatoire : « dis moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. »
Le livre comme trophée esthétique
L’objet livre a envahi les boutiques de luxe. Dior, Louis Vuitton ou encore Sonia Rykiel célèbrent les bibliothèques comme espaces d'inspiration et de prestige. En 2024, l'exposition Mise en page au Bon Marché, imaginée par Sarah Andelman, a transformé le grand magasin en librairie géante. Les marques ne vendent plus que des produits : elles vendent une culture.
Chez Chanel, les salons littéraires ont fait leur retour. Charlotte Casiraghi y invite des autrices comme Jeanette Winterson ou Camille Laurens, habillées par la maison. Balzac Paris, marque équitable bien nommée, propose même un club de lecture dans ses ateliers.
Les écrivaines deviennent mannequins, les pop stars créent des book clubs
Aujourd’hui, les écrivaines contemporaines sont en front row des shows, comme les actrices.
Elles sont même sur les catwalks, surtout si leur image est inclusive, trendy et associée à des valeurs que prône la marque.
La française Constance Debré ou l’américaine Ottessa Moshfegh, auteure du best-seller
Mon année de repos et de détente (Fayard, 2019) constituent de parfaits exemples du phénomène. Lors de la Fashion Week de New York en 2022, Proenza Schouler remplaçait son traditionnel communiqué par une nouvelle inédite signée Moshfegh Trois jours plus tard, la même écrivaine créait la surprise en défilant pour Maryam Nassir Zadeh.
Pauline Klein, autrice française, a, elle, rédigé les textes de Chloé quand Natacha Ramsay-Levi en était la directrice artistique, de 2017 à 2020. Elle a même défilé pour la maison à l’occasion de la présentation de la collection printemps-été 2021.
Amanda Gorman, la sublime poétesse qui a illuminé de sa présence la cérémonie d’investiture de Joe Biden, est devenue une égérie pour Estée Lauder. Les écrivaines deviennent non plus des muses mais des influenceuses mode (comme les dandys au XIXe).
Côté célébrités, les book clubs fleurissent comme autant de marques personnelles. Amanda Gorman devient égérie Estée Lauder. Reese Witherspoon transforme son Reese’s Book Club (gratuit en surface, mais vitrine pour sa société de production Hello Sunshine) en empire littéraire valorisé à plus d’un milliard de dollars. Amerie, Sarah Jessica Parker, et même Dua Lipa avec Service95, mettent les livres au cœur de leur stratégie de rayonnement culturel.
Oui, lire fait glow up
Sur TikTok, le hashtag #BookTok cumule plus de 100 milliards de vues. Loin derrière #Fashion, certes, mais en progression fulgurante. Lire n’est plus réservé à l’élite : c’est tendance, accessible, désirable.
Alors si vous cherchiez une dernière preuve que la lecture fait glow up… la voilà.
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