Les mots, le rire et le stand up

Pour rire et faire rire - entre amis ou en scène - il faut des mots. Les choisir, les manier, les assembler.

L’humour, tout le monde le pratique, mais comment ça marche ? À la question « C’est quoi l’humour ? », les 12-16 ans répondent souvent : « C’est vouloir faire rire ».

Et si c’était bien plus que ça ?

L’humour c’est donc un état d’esprit. C’est même un moyen d’expression. Sa plus sûre manifestation réside dans la « blague » (même si le terme ne s’emploie plus vraiment). 

La signification du mot "blague" se précise au XVIIIe siècle. Des marins français découvrent le mot néerlandais « balg », qui désigne une enveloppe. Parce qu’elle est gonflée d’air et contient quelque chose, le mot a fini par signifier « plaisanterie » dès 1809, selon le dictionnaire Le Robert.

Un métier : humoriste

Pour certains, faire des blagues, c’est devenu un métier. C’est le cas des humoristes, et plus précisément de ceux qui pratiquent le stand-up.

Ce genre est né aux États-Unis à la fin du XIXe siècle : un humoriste seul en scène, qui raconte ses histoires face au public. En France, Jamel Debbouze a largement contribué à populariser le stand-up avec son Jamel Comedy Club.En France, c’est Jamel Debbouze qui a permis de faire connaître et démocratiser cette part du spectacle vivant grâce au Jamel Comedy Club.

Les ingrédients d’un bon show

L'identification

C’est souvent le point de départ. L’humoriste part d’une situation banale, quotidienne, que tout le monde peut reconnaître. On appelle ça un « bit » : une séquence comique autour d’un thème. Cette accroche crée un lien immédiat. L’humoriste devient alors un conteur, qui passe de l’observation à l’appropriation, puis au récit.

Roman Frayssinet, par exemple, va utiliser un thème qui parle à tout le monde :

« Moi mon enfance elle me manque. Toi aussi elle te manque ton enfance ? » L’identification est un mécanisme très fort du stand-up. Des artistes comme Fary, Tania Dutel ou Jason Brokerss construisent tout leur style là-dessus : faire rire en parlant du réel.

@Farylopesb

Le malaise

D’autres humoristes préfèrent installer le malaise.

Fanny Ruwet, par exemple, raconte :

« A un moment mon mec dit un truc au sujet de ma famille et là je me retourne vers lui et je lui dis : Mais Seb, tu sais bien que toute ma famille est morte ! "Pareil énorme blanc tout le monde me regarde. Ben je me dis c’est bon c’est gagné jamais il va surenchérir là-dessus alors que ce sont ses collègues de travail et que c’est la première fois que je les rencontre… et j’ai gagné. Et là il me regarde droit dans les yeux et tout doucement il me répond- En même temps, si t’avais pas grillé ce stop ! »

C’est là que les mots changent l’ambiance. Ils créent une tension qu’on désamorce par le rire.

L'absurde 

D’autres humoristes préfèrent faire appel à l’absurde. Le comique absurde repose sur l’introduction d’un élément incongru dans une situation logique. Coluche en était un maître. Aujourd’hui, des humoristes comme Yacine Belhousse ou Roman Frayssinet (encore lui !) prolongent ce style, où tout devient possible… même qu’un banc de poissons forme un banc.

@romanfrayssinet

Les jeux de mots 

Le ton d’un spectacle se travaille en combinant les mots. Jouer avec, c'est un procédé comique imparable. un exercice littéraire aussi fin que drôle. L’homme qui a imposé ce style sur scène, le GOAT, vous ne l’avez pas connu, il s'appelle Raymond Devos,

Son plus fidèle héritier dans le travail de l’absurde grâce aux mots c’est Roman Frayssinet :

" le mot banc c’est mon préféré, parce que c’est le genre de mots, plus tu le dis, plus ça veut rien dire (…) Là où vraiment on va dans la foncedé, c’est que le mot« banc » il peut être « de poissons » : « un banc de poissons ». Et la dernière fois, je me disais : « imagine t’es un mec tu fais un documentaire animalier, t’es sous l’eau, tu filmes un banc de poissons et il se met en forme de banc ! Et tu te dis - c’est un banc de banc de poissons, c’est du jamais filmé ca ! »

Et c’est du jeu de mots ça ! Un véritable exercice littéraire et créatif qu’on peut s’amuser à reproduire. Fary, lui, dans son spectacle Hexagone de 2020 (dispo sur Netflix), s’interroge sur le métier d’influenceur et sur la signification première du mot.

« Dans la case profession sur Instagram, ça m’énerve quand je vois le mot influenceur. « Moi, tu m’influences, moi, t’es qui toi ?? Quand j'étais petit, ma mère me disait ne te laisse pas influencer ! »

On remet en cause le sens des mots eux-mêmes.

Parmi les procédés comiques, on retrouve aussi :

• Le calembour, jeu de mots oral fondé sur la polysémie (plusieurs sens pour un même mot) et l’homophonie (même son), un trait de l’esprit, selon certains, pratiqué par Balzac lui-même.

• La contrepèterie : inversion de sons pour obtenir des phrases souvent grivoises (pas très stand-up mais bien littéraire)

• L’antiphrase : dire le contraire de ce qu’on pense. C’est l’arme ultime de l’ironie.

• La devinette : simple, régressive, souvent absurde. On la retrouve dans les Pom'potes ou… les blagues Carambar. Et parfois, ça sert d’intro à un spectacle !Et c’est ce qui sert parfois d’intro à un spectacle

Un spectacle qui s’écrit avant de se dire

Et oui : un spectacle d’humour, c’est de l’écriture. Comme au théâtre. Comme dans une série. Une forme d’expression littéraire pensée pour l’oral.

Avant d’être joué, un spectacle est souvent coécrit, relu, affûté. Il anticipe les réactions du public.

Ce n’est donc pas un hasard si plusieurs humoristes écrivent aussi des séries :

• Blanche Gardin – La meilleure version de moi-même (Canal+, 2021)

• Florence Foresti – Désordres (Canal+, 2022)

• Jean-Pascal Zadi – En place (Netflix, 2023)

• Nawel Madani – Jusqu’ici tout va bien (Netflix, 2023)

Ou même des livres :

• Nora Hamzawi : 30 ans (10 ans de thérapie), 35 ans (dont 15 avant Internet)

• Haroun : Les pensées d’Héractète

• Fanny Ruwet : Bien sûr que les poissons ont froid

Conclusion : L’humour, c’est du langage

Derrière chaque blague, il y a du travail, de l’écriture, de l’analyse du réel. Le stand-up est un art de l’observation, un jeu avec les mots, une façon de raconter le monde à travers le rire.

Un art drôle, certes, mais aussi fin, politique, poétique, parfois même tragique. Un art à part entière par lequel des jeunes, des adultes, des autodidactes, des littéraires… prennent la parole pour raconter le monde.

Et si rire, c’était finalement une façon très sérieuse de mieux vivre ensemble ?