top of page

La mode, éternelle muse du roman...

Dernière mise à jour : 7 mai




La mode influence la littérature parce qu’elle est le reflet de la société. 

On en parle depuis l’Antiquité, mais la mode telle qu’on la conçoit aujourd’hui – en perpétuelle évolution, entre fonction, style et statut – naît véritablement à la Renaissance européenne. Une époque charnière, qui voit aussi naître… le capitalisme.


Alors que les paysans sont cantonnés par force aux vêtements usuels, la classe aristocratique aux vêtements d’apparat. Et entre les deux, une nouvelle classe sociale, enrichie par le commerce, s’approprie les codes vestimentaires des nobles (or, argent, étoffes précieuses…), les détourne, les réinterprète.


En parallèle, l’essor du mouvement baroque – d’abord architectural, puis pictural, musical, littéraire – installe l’idée que le vêtement peut aller au-delà de sa fonction utilitaire. Il devient ornement, apparat… superflu. Dès lors, on peut véritablement parler de mode. Et quand la mode s’installe dans la société, elle entre aussi dans la littérature.


La mode dans les romans 


La littérature s’empare très tôt de la mode, qu’elle investit aussi bien esthétiquement que structurellement. Dans les romans, le vêtement devient signe, indice, révélateur. Il habille le personnage, certes, mais il le dévoile aussi.

Des auteurs comme Montaigne, La Bruyère, Madame de Sévigné, Diderot, Mallarmé, les frères Goncourt, Balzac ou encore Baudelaire – pour ne citer qu’eux – se sont emparés du sujet. La mode, loin d’être frivole, devient alors un outil d’analyse sociale.


Le XIXe siècle : quand le style devient pouvoir


Jusqu’à la Révolution française, ce sont les princes qui imposent les tendances. Mais souvent, ils lancent des modes presque malgré eux, en provoquant des “accidents” stylistiques. À partir du XIXe siècle, ce sont les dandys et les snobs qui prennent le relais : des amateurs éclairés qui dictent les règles du style en toute liberté, loin des logiques commerciales.


Zola, par exemple, en fait un contexte littéraire. Dans Pot-Bouille (1881), puis dans Au Bonheur des Dames (1883), il explore le triomphe des grands magasins, les clientes fascinées, la naissance du commerce moderne.




Balzac, lui aussi, a beaucoup écrit sur la mode. La description du vêtement jalonne son œuvre et on peut lui attribuer plusieurs fonctions.


En premier lieu, Balzac utilise le vêtement pour indiquer l'appartenance de ses personnages à une catégorie sociale. On parle de « vestignomonie » balzacienne :

dis-moi comment tu t’habilles, je te dirai qui tu es ! 


La deuxième fonction est de rendre compte de l’époque : le vêtement est un appareil historique au même titre que les meubles ou les décors…Des éléments indispensables au projet littéraire balzacien.


La troisième fonction du vêtement chez Balzac est d’exprimer le sens du style, l’élégance.

Chateaubriand, Oscar Wilde, Barbey d’Aurevilly ou encore les écrivains romantiques, eux-mêmes souvent dandys, reprendront à leur manière ces fonctions narratives du vêtement.


Proust : le vêtement comme révélateur du trouble


Au XXe siècle, la mode ne provoque plus de rupture : elle est intégrée dans la société comme un fait établi. Le vêtement devient parure, transcendance physique, marqueur social. Proust en joue dans À la recherche du temps perdu, notamment à travers le personnage d’Odette.

Deux descriptions, séparées de plusieurs années et de centaines de pages, disent à merveille l’impact de la mode sur le corps et la perception :

  • “(...) et quant à son corps qui était admirablement fait, il était difficile d’en apercevoir la continuité (à cause des modes de l’époque et quoiqu’elle fût une des femmes de Paris qui s’habillaient le mieux)” (Du côté de chez Swann, 1913)

  • “Sauf à ces moments d’involontaire fléchissement où Swann essayait de retrouver la mélancolique cadence botticellienne, le corps d’Odette était maintenant découpé en une seule silhouette…”

La mode y devient presque un filtre, une lentille à travers laquelle le corps est vu, jugé, désiré.


Le XXIe siècle : glamour, dérision et réalité


Aujourd’hui, la mode est partout. Elle est lifestyle, expression de soi, mais aussi outil de narration. Et si le ton a changé – plus léger, plus drôle, plus critique parfois – son pouvoir évocateur reste intact. Glamour, exigeant, fascinant, et difficile à pénétrer. L’univers de la mode, parce qu’il est difficile d’accès, attise le rêve contemporain et sert encore aujourd’hui d’inspiration.

La chick lit en est un bon exemple : Le Diable s’habille en Prada (2003) de Lauren Weisberger, adapté au cinéma avec Meryl Streep, Anne Hathaway et Emily Blunt, dévoile les coulisses d’un magazine de mode inspiré de Vogue. Comme Balzac en son temps, l’autrice y mêle fiction et témoignage.


Dans la même veine, on peut citer :

  • Le Défilé des vanités de Cécile Sépulchre, roman à clés sur les coulisses impitoyables de la presse mode ;

  • Les ouvrages de Loïc Prigent, comme J’adore la mode mais c’est tout ce que je déteste (2017) ou Passe-moi le champagne, j’ai un chat dans la gorge (2020) ;

  • Le crocodile devenu le sac à main de Karl Lagerfeld de Marie-Noëlle Demay (2018), mélange de satire et d’hommage ;

  • Et bien sûr le phénomène @Couturfu (179k abonnés) et son manuel de survie hilarant : Quand le stagiaire demande si Christian Dior vient au défilé (2021).








En conclusion : la mode, toujours un miroir


De Balzac à Proust, de Zola à Weisberger, le vêtement n’a jamais été seulement du tissu. Il dit, il cache, il classe. Il révèle les désirs, les tensions, les hiérarchies. Et dans la littérature, il sert de révélateur.

Oui, la mode influence la littérature. Et la littérature, en retour, interroge la mode, ses codes, ses excès, ses vérités. Le style n’est pas un détail : c’est une manière de raconter le monde.





Comments


bottom of page